Philosophe des « Lumières », des libertés et du progrès 

 Né à Ribemont (Aisne) en 1743, il perd son père la même année lors de manœuvres en Alsace. Sa mère, très dévote a voué son enfant à la Vierge, l'élève et l'habille en fille jusqu'à 9 ans et confie son éducation à un précepteur jésuite à domicile, puis, grâce à l'intervention de son oncle paternel évêque de Gap, Auxerre et Lisieux, est formé au collège des Jésuites de Reims à onze ans. Il est envoyé à quinze ans au collège de Navarre à Paris. Par réaction à cette éducation religieuse, il fera partie de la première génération des idéologues.
Condorcet se distingue rapidement par ses capacités intellectuelles. À l'âge de 16 ans, ses capacités d’analyse sont remarquées par d'Alembert et Clairaut,. Il devient l’élève de d’Alembert et soutient à sa thèse de mathématiques. 

 

 Il refuse la carrière militaire à laquelle sa famille le destine, pour se consacrer à celle de mathématicien. Il est célèbre pour ses travaux pionniers sur la statistique et les probabilités, son analyse des différents modes de scrutin possibles et le « paradoxe de Condorcet ».

Il est élu à l’académie des sciences en 1769, collabore à l’Encyclopédie avec d’Alembert et Diderot, travaille avec Voltaire, reçu à l’Académie française le 21 février 1782.

 Défenseur de toutes les libertés
Il s’intéresse aux questions économiques. Nommé par son ami Turgot inspecteur des monnaies, il travaille à unifier les poids et mesures, examine des projets d’hydrodynamique et de navigation intérieure et fera l’éloge de la liberté du commerce. 
Il réclame une réforme de la justice qui fixerait un code pénal et interdirait la torture. Il écrit en faveur de la liberté de la presse, demande la suppression de l’esclavage des Noirs (réflexions sur l’esclavage des nègres en 1781). Membre le plus influent de la Société des Amis des Noirs, il est élu président après en avoir rédigé les statuts (1788). Il dénonce l’inégalité des femmes, réfute le mythe de la femme au foyer : « il y a des femmes rois, il faut donc des femmes citoyens » . Sur l’adultère : «L’opinion condamne avec sévérité les faiblesses des femmes, la loi les traite avec barbarie, et elle laisse les hommes impunis».

Dans le projet d’Instruction Publique, il préconisera la mixité dans les écoles. Après 1765, il se consacrera aux problèmes politiques : la constitution et l’école. En 1790, pour réaffirmer les principes qui imposent de telles prises de position, il fonde un club de débat et de réflexion, «la société de 1789», avec l’intention de « créer un nouveau type de société d’après les principes  du siècle des Lumières » . Dans l’ «Esquisse d’un tableau historique des progrès de l’esprit humain», il constate que «la maladresse du gouvernement a précipité cette révolution, la philosophie en a dirigé les principes, la force populaire a détruit les obstacles qui pouvaient en arrêter les mouvements» . Dans cet ouvrage, Condorcet relie l’émergence de la philosophie et l’apparition d’une instruction digne de ce nom : «Dans ces premiers temps de la philosophie grecque, nous trouvons le premier et l’unique exemple d’une instruction absolument libre, indépendante de toute superstition, affranchie de toute influence des gouvernements, sans autre but pour le maître que de répandre les lumières et de former des hommes … Les philosophes grecs notamment athéniens furent les premiers instituteurs».

Très engagé dans la Révolution, il se rallie à la République et rallie les Girondins. Élu président de l’Assemblée nationale le 5 février 1792, à la Convention en septembre 1792, Condorcet ne s’en tient plus aux principes, mais s’efforce de les traduire ,sans les trahir, dans l’action politique. Les lois politiques comme les lois scientifiques relèvent de la raison universelle. Ses principes sont valables pour tous les peuples, en les appliquant on ne fait que suivre la légalité de la nature et réaliser ce qui est fondé dans la nature même de  l’homme. Il faut donc s’employer à former à une rationalité politique et les lois constitutionnelles doivent être isomorphes (et non identiques) aux lois scientifiques. L’enthousiasme pris pour guide est redoutable, il peut pactiser avec les ennemis de la raison en croyant servir le peuple et la vérité. Il peut favoriser l’apparition d’une « religion politique » avec ses catéchismes, ses cultes de l’Être suprême. On comprend que le principe de rationalité requiert le principe de laïcité qui en est l’accompagnement juridique de façon à bien faire saisir la différence entre l’esprit de secte et l’esprit public. L’institution du citoyen dans une république présuppose un espace laïque public dans lequel aucune opinion sectaire ou religieuse n’intervient. Mais de plus il faut que soit pris en compte le principe d’humanité. L’amour de l’humanité, la philanthropie, la  «philia» pour l’«anthropos», est l’horizon éthique de la «citoyenneté condorcetienne ». C’est ce qui explique  les combats de Condorcet  pour les opprimés et  sa lutte pour  la citoyenneté à part entière des femmes, des Noirs, des Protestants, des Juifs etc.

L’Europe comme lieu de circulation des cultures
Dans le débat actuel il est intéressant de noter l’approche européenne de Condorcet. Il distinguera la notion d’Occident (chrétien : croisades, colonialisme), de celle de l’Europe. L’Europe devient l’espace transnational de circulation des Lumières. L’Europe éclairée serait moins un discours explicite qu’une certaine organisation des conditions du discours critique et libre.   L’Europe ne serait pas un modèle mais un lieu intellectuel où tous les modèles sont présentés et confrontés. Cet accueil des autres cultures, (voir les Lettres Persanes ou Supplément au Voyage de Bougainville), s’accompagne d’une redécouverte de l’Antiquité, elle serait un mouvement d’ouverture, non pas un modèle mais une instance critique de l’idée même de  modèle. L’Europe n’est pas un «miracle» de l’histoire ou de la géographie, elle est un lieu de confrontation  de tous les modèles culturels et politiques, réels et possibles, dans le souci du meilleur comme le voulait Socrate.  C’est pourquoi Condorcet rédige dans le Fragment sur l’Atlantide, son ultime texte destiné  à éviter de tomber dans les anciens ou nouveaux préjugés et à perpétuer l’amour de la liberté et des droits de l’homme. Pour lui l’idée d’Europe se fait recherche et non conquête, émulation et non hégémonie.
Après la proscription des Girondins, le 2 juin 1793, il entre dans la clandestinité. Arrêté, il s'empoisonne dans sa cellule le 6 avril 1794 à Paris.