Les Droits de l’Homme sont-ils universels ?
Les philosophes Grecs en parlaient déjà… Depuis le 17 ème siècle le concept de droits de l’homme progresse, il s’est concrétisé par des conventions nationales affirmant les « droits de » et les « droits à ». Il s’étend au 20ème siècle par des traités internationaux et des dispositifs législatifs dédiés à l’application d’une justice internationale. Déclaration Universelle des Droits de l’Homme et du Citoyen adoptée en 1948 par l’ONU, Convention européenne des Droits de l’Homme en 1950, Cour Pénale Internationale en 2002…
La sphère des droits humains s’élargit peu à peu mais ceux-ci sont loin d’être mondialement reconnus et appliqués. Des Etats contestent leur caractère universel, d’autres élaborent leur charte inspirées de leurs spécificités culturelles, religieuses, politiques…
Les droits de l’homme, émanation d’une culture ou aspiration universelle ? Nous nous sommes interrogés sur leur contenu, la notion de droit, de devoir, de morale, d’éthique et aussi sur ce que nous souhaitons pour le monde d’aujourd’hui, et pour celui de demain ...
Introduction au sujet
Depuis que l’humanité est organisée en groupes humains, chaque société, chaque Etat institue son droit et lui accorde une valeur intrinsèque, une légitimité au nom d’un principe supérieur qui apparait prioritaire pour cette société.
Aujourd’hui pour nous (qui sommes des citoyens français du 21ème siècle) il parait normal que les droits de l'homme constituent un principe supérieur, une référence au nom de laquelle on peut prendre position à l'égard du droit institué dans d’autres Etats.
Certains diront que la valeur de ces droits de l’homme se mesure à l'aune des droits humains élémentaires qui s’imposeraient comme référence transcendante. Il y aurait des droits inaliénables, qui s'imposeraient à l'homme naturellement. C'est par exemple au nom de ces droits élémentaires que Thomas d'Aquin dans la Somme théologique (secunda secundae, question 69, article 4) peut accorder à l'homme condamné injustement, le droit de refuser la sentence.
Pour Kant, ces droits trouvent leur fondement dans une raison marquée spontanément par un « impératif catégorique », une loi morale à laquelle l'homme voue un respect nature,l de telle sorte qu'elle le détermine à un certain devoir. Ce devoir consiste, avant tout, à respecter en l'autre sa liberté. Ce que l'homme se doit à lui-même : la liberté, il le doit à son semblable. De cet impératif naissent des droits imprescriptibles. L'homme porterait donc en lui une loi morale.
La raison et la loi morale évoquées par Kant se trouvent confrontées à la réalité des affects, à une volonté de puissance des hommes… .
Pour les surmonter, les hommes ont éprouvé la nécessité de prescriptions rappelant le contenu de l'impératif catégorique. C'est en somme la finalité de toutes les tentatives au fil des siècles, d’élaborer des chartes et des Déclarations visant à établir des droits de l'homme.
Les Droits de l’homme au fil des siècles
Depuis l’Antiquité, les hommes oeuvrent à déclarer, affirmer, institutionaliser des droits pour moraliser et émanciper l’Homme (et évidemment la femme) :
Citons le cylindre de Cyrus au 6ème siècle avant notre ère , 600 ans avant notre ère;
Au 13ème siècle la Magna Carta anglaise, le Mandé Africain établi par le Mali ;
Au 17ème siècle la Bill of Rights anglaise de 1689 ;
Au 18 ème siècle la déclaration de l’indépendance Américaine en 1776 prolongée par celle des Droits de l’Homme et du Citoyen en 1789 en France ; la déclaration des droits de la femme par Olympe de Gouge en 1791 ;
Au 19ème siècle, la Révolution industrielle engendre la création de Droits des travailleurs ;
Le 20ème siècle ponctué de guerres marque l’internationalisation des Droits Humains avec la conception que les Etats ne pouvaient seuls décider du traitement de leurs citoyens. Déclaration universelle adoptée en 1948 au lendemain de la guerre par les Nations Unies, suivie de plus de 70 traités internationaux relatifs aux droits civils, économiques, sociaux, culturels et ceux relatifs à la protection de l’environnement. On les retrouve notamment dans la Convention européenne des Droits de l’Homme de 1950.
Des outils juridictionnels se sont ajoutés pour contrôler l’application de ces Droits sur le plan international, comme la Cour Européenne des Droits de l’Homme en 1950, le Tribunal Pénal International en 2002.
La Déclaration islamique universelle des droits de l’homme proposée par le Conseil Islamique d’Europe, ayant son siège à Londres, été promulguée le 19 septembre 1981 ;
La charte africaine des droits de l'homme et des peuples adoptée le 27 juin 1981 à Nairobi (Kenya) lors de la 18eConférence de l'Organisation de l'Unité Africaine, entrée en vigueur en 1986, après sa ratification par 25 États.
Dernier en date, Le 2 nov 2015 lors de la COP21, le président de la République a demandé à Corinne Lepage de préparer une Déclaration universelle des droits de l’humanité pour en saisir les Nations Unies afin qu’elle soit votée. Elle comporte des droits et devoirs à l’égard du patrimoine collectif environnemental et des générations futures.
Extrait de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789
Art. 1er. - Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l'utilité commune.
Art. 2. - Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'Homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l'oppression.
Le but est de soustraire l’individu à l’arbitraire du pouvoir, et permettre ainsi de ne pas être traité en personne inférieure issue d’une seconde « classe », ou en membre d’une « caste » méprisée, ou en « sujet » d’un tyran, etc… Cela ne veut pas dire que l’individu refuse d’être gouverné, mais qu’il demande que les lois soient respectueuses de son intégrité, de sa dignité, et s’appliquent également à tous les citoyens.
«Egaux » : il s’agit d’égalité devant le droit, pas d’égalité de richesse.
Cette conception vient de l’Occident.
Les Asiatiques, dont les valeurs se fondent sur le Bouddhisme, le Taoïsme, le Confucianisme, ne reconnaissent pas cette conception : ce qui importe c’est la collectivité, l’individu n’a pas d’importance seul.
Certains Asiatiques comme par exemple les Coréens critiquent les DDH, disant qu’ils ne protègent pas les Etats, ceux-ci pouvant être envahis. Les peuples qui n’ont pas d’Etat reconnu et constitué ne sont pas protégés (comme par exemple les Kurdes).
Qu’est-ce qui fonde les Droits de l’Homme ?
Des penseurs comme Bossuet ont affirmé le droit naturel, revendication présente depuis l’Antiquité.
Emmanuel KANT : la paix perpétuelle basée sur le respect = « traite autrui comme tu voudrais que l’on te traite ».
Le « droit naturel », ne se base pas sur la « Nature », mais sur la conscience de chacun d’une « Loi Morale »
« Deux choses me remplissent le coeur d'une admiration et d'une vénération, toujours nouvelles et toujours croissantes, à mesure que la réflexion s'y attache et s'y applique : le ciel étoilé au-dessus de moi et la loi morale en moi. […]
Le premier spectacle, d'une multitude innombrable de mondes, anéantit pour ainsi dire mon importance, en tant que je suis une créature animale qui doit rendre la matière dont elle est formée à la planète (à un simple point dans l'Univers), après avoir été pendant un court espace de temps (on ne sait comment) douée de la force vitale.
Le second, au contraire, élève infiniment ma valeur, comme celle d'une intelligence, par ma personnalité dans laquelle la loi morale me manifeste une vie indépendante de l'animalité et même de tout le monde sensible."
Kant, Critique de la raison pratique, V, 77f
Il y a une pédagogie de diffusion des DDH.
Au fil des siècles de nouveaux types de droits sont formulés :
DROITS « LIBERTE » = libertés d’opinion, d’expression, d’association, de la presse, etc…
DROITS « CREANCES »= droit à un travail, à un procès équitable, à un salaire et un logement décent, etc…
En cela le revenu universel pourrait être une réponse à expérimenter ...
La FRATERNITE, est un devoir moral et non pas un droit.
Certains Etats placent leur Constitution sous la référence à Dieu, c’est le cas de celle des Etats Unis en 1776 et de la Constitution Islamique actuelle.
Pour le reste du texte, les chartes et Constitutions sont presque similaires et édictent globalement les mêmes Droits Humains.
La Charte des Droits de l’enfant n'a pas été signée par les Etats Unis.
Il existe des ONG internationalement actives : Ligue des DH, Fédération Internationale des Droits de l’Homme, Amnesty International, Human Rights Watch, RSF, Cimade etc…
Cependant ces droits sont inégalement respectés, certains pays pratiquent la torture, les Nations Unies n’ont comme recours que les sanctions économiques, qui sont insuffisantes. Il en faudrait qui soient vraiment dissuasives.
Les lois de la Justice, votées et écrites, de chaque Etat devraient refléter les droits de l’Homme.
Dans son article 17, la DDHC de 1789 consacre le droit à la propriété privée.
Cet article est de portée générale, et ne sont précisés ni son objet, ni son étendue, ni sa durée, ni aucune limite.
Rappelons le texte du 24 avril 1793 de Robespierre dans son projet de Déclaration des DDH :
« Posons donc de bonne foi les principes du droit de propriété ; il le faut d’autant plus qu’il n’en est point que les préjugés et les vices des hommes aient cherché à envelopper de nuages plus épais.
« Demandez à ce marchand de chair humaine ce que c’est que la propriété ; il vous dira, en vous montrant cette longue bière qu’il appelle un navire, où il a enchaîné et ferré des hommes qui paraissent vivants : “voilà mes propriétés, je les ai achetées tant par tête.”
Interrogez ce gentilhomme qui a des terres et des vassaux, ou qui croit l’univers bouleversé depuis qu’il n’en a plus ; il vous donnera de la propriété des idées à peu près semblables.
Interrogez les augustes membres de la dynastie capétienne ; ils vous diront que la plus sacrée de toutes les propriétés est, sans contredit, le droit héréditaire, dont ils ont joui de toute antiquité, d’opprimer, d’avilir et de pressurer légalement et monarchiquement les 25 millions d’hommes qui habitaient le territoire de la France, sous leur bon plaisir.
« Aux yeux de tous ces gens-là, la propriété ne porte sur aucun principe de morale. Pourquoi votre déclaration des droits semble-t-elle présenter la même erreur ? »
Et aussi les cultures Amérindiennes, avant qu’elles ne soient détruites par cette conception de la propriété
« Quand ils auront coupé le dernier arbre, pollué le dernier ruisseau, pêché le dernier poisson.
Alors ils s’apercevront que l’argent ne se mange pas. »
Tatanka Yotanka – Sitting Bull, guerrier sioux
"Notre terre vaut mieux que de l’argent. Elle sera toujours là. Elle ne périra pas, même dans les flammes d’un feu. Aussi longtemps que le soleil brillera et que l’eau coulera, cette terre sera ici pour donner vie aux hommes et aux animaux. Nous ne pouvons vendre la vie des hommes et des animaux. C’est pourquoi nous ne pouvons vendre cette terre. Elle fut placée ici par le Grand Esprit et nous ne pouvons la vendre parce qu’elle ne nous appartient pas."
Chef indien Blackfeet (Pieds-Noirs)
Cela nous amène à réfléchir sur la privatisation de l’eau, des semences, des plantes, des chemins, des plages, etc…
Nous espérons que la Cop 21 de 2015, officialisant la charte sur le climat est un bon début, mais insuffisante à contenir la ruine environnementale si pas d’actions concrètes aussi sur le pillage et le gaspillage et la pollution de la planète, alors que l’existence d’un marché de « Droits à polluer » est le comble du cynisme.
En Equateur, la Constitution comporte un article qui impose un Droit de l’Homme à vivre dans un environnement sain, inspirée de la traditionnelle « PACHAMAMA »
Arne Ness en 8 points théorise l’ « Ecologie profonde » (Deep Ecology)
Un espoir réside dans le développement de l’économie collaborative.
Il nous faut être vigilants sur la pratique des « brevets sur le vivant ».
Attention aux dérives "droit de l'hommistes".
- Des « lobbies contre les Droits Humains », qui caricaturent en « droit de l’hommistes » ceux qui les défendent. Cette attitude pourrait conduire les Etats à prendre les mesures contraires à la protection de leurs citoyens, avec pour prétexte la sécurité, ou la bonne marche de l’économie, etc.
- Inversement attention aux déformations "Droits de l'hommistes qui » empêchent les Etats de prendre les mesures nécessaires à la protection de leurs citoyens, en interprétant la sécurité comme une atteinte à la liberté de ceux qui attaquent la République
Vers une Déclaration des Droits de l'Homme universelle ?
L’Europe, soit en tant qu’Union Européenne (28 Etats), soit au sein des Etats n’adhérant pas à l’UE, est certainement un espace qui a le mieux réalisé l’application des DDH, par la promulgation de lois instituant ces Droits.
Même s’il reste encore des droits à défendre, à conquérir, et d’autres imparfaitement appliqués.
C’est vers cette destination que se réfugient les hommes fuyant leur pays car ils y sont privés de libertés, ou soumis à la guerre, ou à des catastrophes.
La Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen fait partie de l’histoire de l’Occident. L’humanité est dans l’attente d’une déclaration qui soit vraiment universelle et appropriée par tous les pays car les Droits de l’homme, pas universels aujourd’hui sont universalisables.
Des tentatives ont eu lieu :
Hans Küng se dévoue depuis 1993 à la fondation Weltethos (Tübingen et Zurich). Il définit l'ethos comme l'attitude morale fondamentale de l'homme, cherche à développer et renforcer la coopération entre les religions, au-delà d'une vague reconnaissance de valeurs communes. Il cherche particulièrement à initier de véritables initiatives pratiques en vue de la paix et du développement. On peut consulter son site qui inclut la déclaration pour une éthique planétaire. Cet engagement a valu à Hans Küng de recevoir le Prix Niwano de la paix en 2005. Concernant la création du Parlement des Religions qui s'est réuni à Chicago aux États-Unis, Hans Küng déclare, « loin de constituer un effort de réduction à un minimalisme éthique, voir plutôt ce que les religions du monde partagent déjà comme minimum d’éthique commun. Il invite les croyants et les non-croyants à faire leur cette perspective, et à s'en inspirer ». Le 5 avril 1996, autour du Manifeste pour une éthique planétaire de Hans Küng, il y a eu un débat qui a réuni Hans Küng et Paul Ricœur, philosophe français protestant.
D’autres tentatives réalisées par Habermas, le Cardinal Ratsinger, l’Unesco avec la « Fondation pour une éthique Universelle » à laquelle Paul Ricoeur a participé.
Cet idéal pourra advenir lorsque tous les philosophes et les sages du monde se mettront autour d’une table et formuleront cette déclaration universelle de sorte qu’elle soit acceptée par tous. Les peuples doivent se l'approprier, on ne peut pas la leur imposer.
Préambule de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1948 :
"Considérant que la reconnaissance de la dignité et des droits égaux, inaliénables et inhérents à tous les membres de la famille des êtres humains, constitue la base de la liberté, de la justice et de la paix dans le monde,
Considérant que la méconnaissance et le mépris des droits de l’Homme ont conduit à des actes de barbarie qui révoltent la conscience de l’humanité, l’avènement d’un monde où les êtres humains seront libres de parler et de croire, libérés de la terreur et de la misère, a été proclamé comme la plus haute aspiration de l’homme,
Considérant qu’il est essentiel que les droits de l’Homme soient protégés par l’exercice des lois, à condition que l’homme ne soit pas obligé d’avoir recours, en dernier ressort, à la rébellion pour lutter contre la tyrannie et l’oppression,
Considérant qu’il est essentiel de promouvoir le développement des relations amicales entre les nations,
Considérant que les peuples des Nations Unies ont dans la Charte réaffirmé leur foi dans les droits de l’Homme fondamentaux, dans la dignité et la valeur de la personne humaine et dans les droits égaux des hommes et des femmes et qu’ils ont décidé de promouvoir le progrès social et de meilleurs standards de vie dans une liberté plus grande,
Considérant que les États membres se sont engagés à réaliser, en coopération avec les Nations Unies, la promotion du respect universel des droits de l’Homme et des libertés fondamentales,
Considérant qu’une compréhension commune de ces droits et de ces libertés est de la plus grande importance pour la pleine réalisation de cet engagement,
Maintenant et alors,
L’Assemblée générale,
Proclame la présente déclaration universelle des droits de l’Homme comme l’idéal commun à atteindre par tous les peuples et toutes les nations afin que tous les individus et tous les organes de la société, ayant cette Déclaration constamment à l’esprit, s’efforcent, par l’enseignement et l’éducation, de développer le respect de ces droits et libertés et d’en assurer, par des mesures progressives d’ordre national et international, la reconnaissance et l’application universelles et effectives, tant parmi les populations des États membres eux-mêmes que parmi celles des territoires placés sous leur juridiction."