Ciné Philo du vendredi 12 février 2015

au Cinéma Yves Montand de Livry-Gargan

 

BAD BOY BUDDY

Réalisateur : Rolf  de Heer – sorti en 1993 – 5 prix à la Mostra de Venise

Avec Nicolas Hope dans le rôle principal

Synopsis : 

Séquestré depuis sa naissance dans un sous-sol par sa mère, Bubby ignore tout du monde extérieur qu’il croit empoisonné. L’arrivée de son père, dont il était tenu éloigné, va bouleverser sa vie. 

Le jour de ses 35 ans, Bubby va enfin sortir. Il découvre un monde à la fois étrange, terrible et merveilleux où il y a des gens, de la pizza, de la musique et des arbres…  

 Rolf de Heer nous emmène dans ce que notre monde a de pire et de meilleur. C'est en vivant tour à tour ce "pire" et ce "meilleur" que Bubby, enfant sauvage de 35 ans (magistralement interprété par Nicholas Hope), va construire son humanité. 

 

Les séquences de ce film ont permis d’aborder et débattre de sujets comme  le complexe d’Œdipe, l’enfance maltraitée, l’accès à la connaissance, la religion, la morale …

 Note du réalisateur

 J’ai voulu faire un film sur l’enfance, sur l’importance d’être aimé pour un enfant. Des recherches antérieures sur les tueurs en série m’avaient appris que presque tous, sans exception, ont eu une enfance meurtrie. Ce film est, pour moi, un plaidoyer pour l’enfance. Il est aussi un plaidoyer pour le droit à la différence. Nous jugeons les gens sur leurs apparences, selon des normes sociales ou ethnocentriques arbitraires, le plus souvent à tort ou injustement. Bubby n’a aucun moyen de juger les gens… Il n’a rencontré qu’une seule personne dans sa vie, dont il est complètement dépendant. Son système de valeurs est très limité, mais il n’est corrompu, ni par la télévision, ni par la radio, ni par les livres, ni par des photos. Il ne l’est pas non plus par la nécessité de se conformer à des codes ou par l’avidité. Il n’a aucun élément de comparaison, et ne peut donc pas juger les gens. Il est vierge de tout, totalement innocent. En adoptant son point de vue, je pouvais commencer à explorer des fragments du monde, comme une déambulation à la découverte de la société, des gens et de leurs comportements. Le monde est tout à la fois drôle et tragique, laid et beau, malveillant et bienveillant, plein d’amour et de haine, d’honnêteté ou d’hypocrisie. Voilà aussi comment Bubby le découvre et comment il est malmené par lui. Bubby va apprendre au gré de ses rencontres comment se comporter. C’est un peu la même chose dans le monde réel... chacune de nos rencontres influence nos comportements. C’est aussi un film sur les apparences et les faux-semblants. Qu’est-ce qui est beau ? Qu’est-ce qui est laid ? Pour qui ? Dans quelles circonstances? Qu’est-ce que l’innocence ? Qu’est-ce que la culpabilité ? Ce film nous amène à réfléchir sur nos systèmes de croyance, qu’ils soient spirituels, religieux, scientifiques… et comment, en s’y cramponnant pour essayer de donner un sens au monde, nous y sommes empêchés. BAD BOY BUBBY pose plus de questions qu’il ne donne de réponses. Il interroge notre façon de percevoir le monde et ceux qui en font partie et pousse le spectateur à se poser des questions sur lui-même. Voilà ce que j’ai essayé de faire avec BAD BOY BUBBY, permettre au spectateur de se poser des questions essentielles tout en le divertissant et lui donnant du plaisir. Je crois que nous avons réussi.

 Rolf de Heer

 Né en 1951 en Hollande, Rolf de Heer est arrivé en Australie avec sa famille en 1959. Après avoir étudié à Sydney dans la prestigieuse Australia’s Film Television and Radio School, il s’installe à Adelaïde où il réalise, écrit et produit des longs métrages depuis trente ans. Parmi les quatorze films qu’il a réalisé, quatre d’entre eux ont été sélectionnés en compétition officielle au Festival de Cannes (10 CANOËS a obtenu le Prix du jury Un Certain Regard et CHARLIE’S COUNTRY le Prix d’Interprétation Un Certain Regard); deux de ses films étaient en compétition à la Mostra de Venise (dont BAD BOY BUBBY, qui a gagné entre autres le Prix du Jury, ainsi que le Prix de la Critique) ; la plupart de ses films ont remporté des prix à l’Australian Film Institute et ont également été sélectionnés à Berlin, Toronto, Telluride, Londres, etc…

 Quelques thèmes évoqués lors du débat

Psychanalyse= relation mère fils – père fils, après la venue du père supplantant le fils et l’excluant,  le fils tue d’abord le père, puis la mère pour se « libérer » en cédant à la violence de  son ressentiment et de son sentiment d’être trahi

 Psychologie = mère surprotectrice accapare l’enfant, veut le protéger du monde, dangereux poison.   in fine elle doit s’effacer, (ici au sens de disparaître),

et permettre ainsi à l’adolescent, ici l’adulte resté enfant (au sens de « privé de parole et de connaissance»),  d’affronter un monde incompréhensible et presque inhumain…

 Ce monde est à la fois laid et beau : couvert de déchets, peuplé de gens qui lui donnent des coups parce qu’ils ne le comprennent pas. Mais aussi un monde de bonté : les pauvres, les marginaux, les gens aisés, les policiers sont décrits avec des qualités d’écoute, de parole, d’assistance bienveillante. C’est son innocence et son regard sans jugement sur le monde qui génère en quelque sorte la bonté des autres

 Au sens de Rousseau c’est un homme sans formatage par la « société », et nous ne savons pas s’il deviendra un «  monstre de sauvagerie » ou un « bon sauvage » …

 Pourtant ces explications n’épuisent pas le sens de cette scène inaugurale…

 Il répète les mots et les reçoit comme des projectiles d’affects

 Il peut ensuite les chanter (hurler) en les adressant à un public qui les reçoit, réaliser ainsi une catharsis libératrice : Eclairage sombre, rouge, il devient presque prophète par sa façon d’électriser les gens, il accède au pouvoir de montrer son obsession de « femme-gros seins »

La musique est un chemin d’accès à la connaissance du monde et de lui-même : il entend des sons qui lui donnent les émotions d’une façon directe

 La religion : La leçon d’athéisme dans une centrale électrique vide d’humains, interpellation et défi lancé à Dieu pour qu’il fasse la preuve de son existence, nous renvoie au matéralisme de Fuerbach (dont s’est inspiré Marx)

 L’on pourrait dire qu’au début, le cinéaste a placé un être n’ayant appris aucun sens moral, seulement la menace proférée par sa mère de « Dieu qui voit tout et viendra le massacrer ».

Personne ne lui a inculqué, imprimé dans le cerveau, de définition normative qui impose une hiérarchie entre le beau et le laid, les personnes handicapées sont autant dignes d’empathie et de soins que les autres ; ni de définition normative qui impose un choix prédéfini entre le bien et le mal. Référence à Nietzsche « Par delà le bien et le mal »

 Ce qui lui permettra de ne pas se poser en victime, y compris de ses propres actes terribles.

Il n’y a pas de culte de la souffrance, il ne se fixe pas sur « le mauvais objet », il s’adapte, alors qu’il est au début lui-même grand inadapté.

Il n’y a pas de coupable bouc émissaire (même un Dieu), de prétexte ni de Sauveur alibi pour notre lâcheté. Ce qui nous arrive est de notre propre responsabilité

 Et paradoxalement c’est grâce à ses lacunes qu’il accède au bonheur : ne pas savoir les définitions des mots, les valeurs communes en société, car elles ne l’empêchent pas d’agir et de partager des épisodes de vie avec les gens capables de l’accompagner. Illustration de l’inutilité du « trop d’éducation » ?

 Ainsi il  est  conduit par sa pulsion de vie (via son besoin de gros nichons  et de pizza ?!!!) dans une odyssée urbaine où il rencontrera la personne qui l’acceptera avec ses singuliers caractères.

Une mise en situation de rédemption immanente par l’acquisition de la  capacité à être heureux et à rendre heureux.

Ce film peut être interprété comme un conte initiatique, du ventre maternel (le sous-sol) jusqu'à la sortie vers la vie, les étapes, les rencontres, la découverte des émotions et des la douleur, jusqu'à l'apprentissage des sentiments, des émotions, du bonheur