Qu’est- ce qu’une vie réussie ?  

 

Intro sur le sujet

Cette question que tout le monde se pose plus ou moins consciemment est à multiples facettes :

 A-t-on vraiment le pouvoir de « réussir » une vie - qui nous est offerte malgré nous - comme on réussirait une recette de cuisine ? Peut-on penser que l’on puisse programmer sa vie, la maîtriser totalement ?

Et puis, que veut dire  « réussir », ce mot annonce la fin d’un processus. Il correspond aussi à une notion d’efficacité,  il répond à des critères différents selon les sociétés, les cultures…

Et aussi, une vie réussie, est-ce réussir dans la vie ? Est-ce  une belle vie ? Est-ce une vie bonne ? Est-ce une vie utile ?

Et de quelle vie s’agit-il au juste ? Familiale, sentimentale, professionnelle, sociale ? Ou encore vie intérieure, vie extérieure …

 

 Mais quelle en est la cause ? Quelle est l’influence de notre propre volonté, de celle des autres, de notre conditionnement, de notre inconscient, du hasard, de l’éducation et de tant d’autres facteurs ?... Dans quelle mesure sommes-nous libres de mener notre vie telle que nous voudrions et de maîtriser tout ce qui pourrait concourir à la réussir ?

 Nous pouvons, pour tenter de trouver des réponses, nous pencher sur des vies de personnages de l’Histoire, d’artistes, de penseurs. Certains  ont cumulé dans leur existence souffrances, échecs et déboires.

2 exemples parmi les philosophes :

-Niezstche a manqué une grande carrière universitaire et vécu une vie affective sordide faite de relations avec des prostituées. Il a fini sa vie contaminé par la syphilis.

-Spinoza a vécu dans l’exclusion de sa communauté religieuse et de l’ensemble de la société à cause de ses divergences de pensée philosophique qui l’ont fait passer pour un athée à une époque où c’était inconcevable. Il a fini sa vie dans la solitude …

Mais leur œuvre est immense… Ont-ils pour autant réussi ou raté leur vie ?

  Inversement, la réussite, la célébrité  de certains hommes dans l’histoire (même s’ils ont mal fini) est parfois liée au malheur de l’humanité : Pinochet, Hitler, Napoléon... 

 Ainsi pourrons-nous poser la question du « pourquoi vit-on ? »

La Bruyère, dans Les Caractères écrit « Il n’y a pour l’homme que trois événements, naître, vivre et mourir : il ne se sent pas naître, il souffre à mourir, et il oublie de vivre. "

 Rousseau nous donne sa réponse, si simple et si sage : « Vivre, ce n’est pas respirer, c’est agir ; c’est faire usage de nos organes, de nos sens, de nos facultés, de toutes les parties de nous‐mêmes, qui nous donnent le sentiment de notre existence. L’homme qui a le plus vécu n’est pas celui qui a compté le plus d’années, mais celui qui a le plus senti la vie ».  Émile, livre I

Retour sur le débat

Cette question en entraine beaucoup d’autres :

Une vie réussie, est–ce une vie qu’on referait de la même manière ? Est-ce faire les mêmes choses, vivre de la même façon ?

 Un examen peut être réussi, un test, une épreuve. Mais une vie ? Est-ce du même ordre ?

Comment évaluer si la vie est réussie ? Quel est le moment pour se poser la question ? Est-ce « se réaliser ? », réaliser tous ses désirs : le contentement ne suffit pas (c’est pourquoi il est important de faire de la philo…)

 Etre reconnu ou pas – être heureux ou pas ?

Il s’agit de savoir ce que nous écririons dans notre biographie : « bios » = vie

 Toute vie est une réussite en soi et a une valeur. Si ce n’était pas le cas ce ne serait pas un crime de tuer quelqu’un(e).

Qui peut s’arroger une prétention à la vérité en jugeant son semblable sur la valeur de sa vie ?

Raisonner ainsi serait courir le grand péril d’attribuer à une vie plus de valeur (ou de sens) qu’à une autre !

La conviction que toute vie humaine a une valeur tend à disparaître.

La question du salut de notre âme a été rayée du discours médiatique, de la culture. Le discours actuel l’a remplacé par « faire le bien », être « fraternel », être amical, donner de l’amour, l’amitié, la bienveillance.

Les valeurs se déplacent. Aujourd’hui, la question du salut est remplacée par celle du bonheur.

 Une personne mourant dans la pauvreté ou dans la solitude aurait-elle moins réussi sa vie qu’une autre, riche à ne plus savoir combien elle possède en ayant exploité et ruiné des millions de gens, mais mourant entourée de sa famille (intéressée par l’héritage) et de sa cour ?

Celui qui a seulement réussi à ne pas  nuire intentionnellement à autrui n’est il pas plus un modèle de réussite ?

D’ailleurs que prétend-t-on soupeser chez un humain? La quantité de sa vie ? La qualité de sa vie ? La durée de sa vie ?

Cherchons-nous le « sens de notre vie » pour le confronter à notre jugement et dire « j’ai réussi ma vie » ? Ce sens doit il être donné par moi-même ? Ou une instance supérieure ? Ou par les « autres » ? : Avoir un sens = avoir une destination, une direction – il faut savoir laquelle. Donc le sens n’est pas la vie (cf Camus qui a souligné l’absurdité de la vie)

 Quelles réponses ?

 Il y a plusieurs dimensions à une vie :  

- familiale

-matérielle,

- spirituelle

-professionnelle

-artistique

-publique

-intime, privée

On sera toujours évalués par des critères qui ne seront pas les nôtres. Il faut donc plutôt se poser la question de ce que l’on veut soi-même, trouver sa liberté, se libérer du jugement des autres, de la pression.

Avoir de l’argent est sources d’autres angoisses

Se focaliser sur la place que l’on occupe : aussi source d’angoisses qui empêchent d’avoir d’autres activités intéressantes

Sartre : on est ce que l’on fait, ce que l’on ressent, ce que l’on apprend, ce que l’on dit.

L’examen de conscience se pratiquait en Grèce antique, c’était un exercice spirituel. Il était aussi pratiqué au Moyen Age (Ignace de Loyola, les Jésuites), on évaluait la qualité de sa prière, de son engagement, etc…

Notre « examen de conscience » devrait être fait souvent au cours de notre vie, à tout âge. Au terme de la vie, c’est trop tard, on ne peut plus le faire.

Faire son examen de conscience veut dire que nous pouvons connaître nos désirs et notre but, et capables d’évaluer si nous avons réussi à les atteindre.

 Les bonnes questions à se poser

 Les « anciens » posaient une autre question : qu’est-ce que la vie bonne ?

    Réponse : celle que nous recherchons afin d’accéder à « notre » bonheur.

 L’expression « réussir sa vie » est récente : elle date d’environ 40 ans, propulsée comme étalon de jugement pendant le tournant néo-libéral des années 70/80.

Aujourd’hui « réussir »  est associé à l’argent, au pouvoir, à la célébrité. Et évidemment presque tout le monde comprend : avons-nous gagné assez d’argent ? Avons-nous exercé un grand pouvoir ? Avons-nous été très célèbre ?

Au point que « réussir sa mort » même en tuant d’autres humains, si cela est relayé par les médias devient « réussir sa vie » !

 La tâche est lourde pour chacun, car en même temps il nous a été inoculé le « devoir de se prendre en charge », la réussite étant de notre responsabilité, et venant par l’exercice de notre volonté.

Cette injonction confinant au terrorisme moral génère une angoisse chez chacun de nous.

Les adolescents en sont beaucoup plus les victimes. Dans cette période de fragilité qui consiste à se séparer des parents, beaucoup ont tendance à croire n’importe quel individu (ou secte) qui leur donne « clés en main » la certitude qu’en les suivant ils réussiront leur vie.

Chez les adultes, cette notion fait partie « des croyances invalidantes », par exemple lorsque toute une stratégie d’entreprise enferme l’employé qui veut « bien faire » et « être bien noté » pour « réussir », le conduisant à la dépression (burn-out) et même parfois (et trop souvent) au suicide.

 Nous sommes devenus obsédés par la « super »performance, d’où la frustration, l’aliénation, la projection sur la vie « des grandes figures » ayant « réussi » leur vie.

Illusion entretenue par la téléréalité (croyance que l’on a un grand destin)

 La question de la réussite de la vie est un piège de notre société plongée dans le monde de la technique et du numérique.

Il est nécessaire de la remplacer par l’évaluation, qui prend en compte d’où on se place, d’où on voit sa vie…

Les bonnes questions à se poser sont : suis-je dans le bien-être ? Suis-je bon ? Suis- je généreux ? Aimant, attentif aux autres, communicatif ?...

L’important est de se construire une vie faite de valeurs choisies par soi-même.

La notion de réussite implique une comparaison par rapport aux autres, un critère d’efficacité, etc..

On ne peut pas « réussir » la vie, ce n’est pas un objet qui puisse être raté.

La vraie question est celle du bonheur, du malheur, de souffrir, de faire souffrir…

Il est à notre portée de retrouver la sensation et la certitude que notre corps et notre esprit nous appartiennent ; et qu’avec une vie « honnête », nous pourrons choisir nous-mêmes parmi les valeurs, celles que nous désirons vivre ; et nous fixer des objectifs atteignables.

 Aucune vie ne peut être ratée. Celui qui cherche seulement à vivre 1 jour et revoir la lumière du matin, aura pleinement réussi s’il réalise ce désir.

Un point de vue :

« Réussir sa vie, c’est être conscient en agissant. Au contraire, rater sa vie c’est ne pas trouver ce que l’on désire vraiment au fond de nous, ou ne pas donner, polariser son énergie pour le réaliser, et laisser le temps engloutir cette kyrielle d’illusions. Néanmoins, il subsiste toujours une région d’opacité au sein même de la conscience ; et c’est sans doute préférable, car si nous étions entièrement conscients de nous-mêmes, alors toute trace de mystère se volatiliserait aussitôt, nous serions des robots. En définitive, comme dit Jankélévitch, " pour connaître intuitivement la flamme il faudrait non seulement voir danser la petite langue de feu, mais épouser du dedans sa chaleur; joindre à l’image la sensation existentielle de la brûlure... connaître la flamme du dehors en ignorant sa chaleur ? ou bien connaître la flamme elle-même en se consumant en elle ? savoir sans être ? ou être sans savoir ? tel est le dilemme. " Il faut concevoir la conscience de soi comme un éternel va et vient, comme une spirale sur laquelle nous nous promenons indéfiniment entre le dehors et le dedans, entre l’inconnu et le connu, de bas en haut, sans jamais savoir où nous sommes. C’est probablement la raison pour laquelle nous serons toujours à la recherche de notre propre identité sans jamais parvenir à la déceler. Mais ce qui compte, c’est de chercher... »